L’intelligence artificielle (IA) et la qualité des soins chirurgicaux

Les progrès récents de l’IA ont permis le développement de modèles prédictifs capables d’identifier les patients à risque accru de complications postopératoires dans les principales chirurgies oncologiques. Les données les plus solides proviennent d’études de cohorte à grande échelle (par exemple au Danemark), notamment en chirurgie colorectale, où une prise en charge périopératoire personnalisée reposant sur un modèle basé sur l’IA a permis de réduire significativement les complications majeures avec un excellent rapport coût-efficacité en comparaison à la pratique standard (OR ajusté = 0,6 ; AUC = 0,79)*¹. Plusieurs revues systématiques s’intéressant chirurgies digestives, pancréatico-biliaires et thoraciques confirment les performances prédictives de ces modèles (AUC 0,85–0,97), tout en soulignant leurs limites : conception rétrospective, validation externe insuffisante et généralisabilité encore incertaine*² *³.
Au-delà de la simple prédiction des outcomes, un nouveau type de modèles s’attache à permettre le suivi en temps réel de la qualité des soins en exploitant les données multimodales issues des dossiers patients, du PMSI ou de vidéos per-opératoires – dont l’un des projets soutenus par l’IUC (Q-SCAN : Quality Surveillance for CArcinological surgery and Notification) qui transforme les données hospitalières de routine en indicateurs dynamiquesde qualité des soins.
De tels outils marquent l’évolution de l’IA, permettant de passer de la prédiction à une véritable démarche d’amélioration continue de la qualité des soins en chirurgie oncologique.
L’IA : médecine augmentée… ou médecine assistée ?

Une étude récemment publiée (Endoscopist deskilling risk after exposure to artificial intelligence in colonoscopy, Lancet Gastroenterol Hepatol. 2025 Oct;10(10):896-903), a suggéré un impact potentiellement négatif de l’usage de l’intelligence artificielle sur l’autonomie des endoscopistes. Cette publication s’intègre dans le cadre plus large de l’étude randomisée européenne ACCEPT qui teste l’apport de l’IA dans la détection des cancers et lésions pré-cancéreuses colorectales lors des coloscopies de dépistage. Ici, le taux de détection d’adénomes des coloscopies effectuées de manière autonome (non assistées par l’IA) avant l’introduction de l’IA et après l’introduction de l’IA (bras contrôle de l’étude ACCEPT) est passé de 28,4 % avant l’introduction de l’IA à 22,4 % (-6%, p = 0,0089). Cette baisse suggère un risque de “désapprentissage” : l’appui systématique sur l’algorithme pourrait réduire la vigilance visuelle des endoscopistes lors des procédures non assistées.
Ces résultats sont à contrebalancer avec d’autres travaux récents montrant l’apport de l’IA dans le taux de détection de lésions pré-cancéreuses lorsqu’on utilise effectivement l’IA. L’enjeu est donc moins l’IA en elle-même que sa place dans la pratique : un outil complémentaire, mais pas un substitut. Les auteurs recommandent de maintenir des séances régulières sans IA afin de préserver le savoir-faire clinique.
Ressources
¹ Rosen AW, Ose I, Gögenur M, et al. Clinical implementation of an AI-based prediction model for decision support for patients undergoing colorectal cancer surgery. Nat Med. 2025;31(11):3737-3748. doi:10.1038/s41591-025-03942-x
² Stam WT, Goedknegt LK, Ingwersen EW, Schoonmade LJ, Bruns ERJ, Daams F. The prediction of surgical complications using artificial intelligence in patients undergoing major abdominal surgery: A systematic review. Surgery. 2022;171(4):1014-1021. doi:10.1016/j.surg.2021.10.002
³ Bektaş M, Tan C, Burchell GL, Daams F, van der Peet DL. Artificial intelligence-powered clinical decision making within gastrointestinal surgery: A systematic review. Eur J Surg Oncol. 2025;51(1):108385. doi:10.1016/j.ejso.2024.108385