Professeur des Universités (PU-PH) en hématologie à la Faculté de Santé Sorbonne Université, chef de service à l’hôpital Saint-Antoine et responsable d’une équipe de recherche Inserm, le Pr. Mohamad Mohty, hématologue clinicien et chercheur, est une figure de proue dans son domaine. Il est reconnu internationalement pour ses travaux novateurs sur la greffe de cellules souches hématopoïétiques et le développement des thérapies innovantes pour les hémopathies malignes, en particulier le myélome multiple. Il a piloté de nombreux essais cliniques multicentriques qui ont modifié les standards de prise en charge et contribué aux recommandations d’experts avec une activité soutenue en formation continue.
Son engagement au service des patients se reflète dans un modèle de prise en charge pluridisciplinaire, qui intègre l’innovation, la qualité de vie et l’équité d’accès aux soins. Investi dans l’éducation médicale et les réseaux internationaux, il est convaincu que le partage des connaissances est essentiel pour que les découvertes de laboratoire bénéficient rapidement aux patients.
Un portrait signé Pr. Jean-Philippe Spano, Directeur Exécutif de l’Institut Universitaire de Cancérologie AP-HP Sorbonne Université
Entretien avec le Pr. Mohamad Mohty
Quel est l’état de l’hématologie mondiale et quels en ont été les grands tournants ?
L’hématologie est au cœur d’une véritable révolution. Trois tournants majeurs ont transformé notre discipline. Tout d’abord, la biologie moléculaire et la génomique qui, grâce au séquençage à haut débit, nous permettent un diagnostic plus fin et une personnalisation des traitements. Ensuite, les progrès dans la greffe et la modulation immunitaire ont amélioré les soins et la gestion des complications, faisant de la greffe une option pivot pour les hémopathies à haut risque. Enfin, le tournant le plus récent est l’essor de l’immuno-oncologie et des thérapies ciblées. Les inhibiteurs de kinase, les anticorps, les agents bispécifiques et les cellules CAR-T ont profondément modifié le pronostic de maladies longtemps considérées comme incurables. Aujourd’hui, notre discipline est très innovante, mais confrontée à de grands défis en matière d’accès, de toxicité et de soutenabilité économique, en particulier pour les thérapies cellulaires.
Quels sont les principaux défis actuels de la prise en charge des patients ?
Nous faisons face à plusieurs défis. Le premier est le diagnostic précoce : nous devons déployer des filières d’accès rapide pour obtenir des diagnostics en 48 à 72 heures, tout en intégrant la biologie moléculaire en routine et en réduisant les inégalités territoriales par la télémédecine. Le deuxième défi est celui des résistances et des rechutes. Pour y répondre, nous développons des combinaisons thérapeutiques rationnelles et des stratégies adaptées à la détection de la maladie résiduelle (MRD). La gestion des toxicités est un 3ème enjeu crucial ; nous devons mieux prévenir et gérer les complications pour améliorer la qualité de vie, par l’intégration précoce de soins d’accompagnement tels que la rééducation, le soutien psycho-social… Nous intégrons pour cela la rééducation et le soutien psycho-social dès les premières phases du traitement. Enfin, la soutenabilité et l’équité sont des enjeux majeurs qui demandent l’optimisation des chaînes logistiques pour les thérapies coûteuses et l’évaluation médico-économique de nos innovations.
Quelles sont les avancées thérapeutiques les plus marquantes et la place des cellules CAR-T ?
Les thérapies ciblées ont été une avancée majeure, notamment avec les inhibiteurs du protéasome pour le myélome, ou les inhibiteurs de BTK pour les lymphomes. Les anticorps et les agents bispécifiques permettent également des réponses profondes et durables. De leur côté, les cellules CAR-T occupent une place croissante, en particulier dans les lymphomes agressifs et le myélome. Elles offrent des taux de réponse très élevés, y compris en cas de rechute multiple. Cependant, nous devons encore relever des défis comme la gestion des toxicités à long terme, le coût élevé et les délais de fabrication. L’arrivée des bispécifiques représente une alternative complémentaire et nous cherchons maintenant à définir les stratégies optimales pour les séquencer avec les CAR-T.
Au-delà des traitements, quelles sont les avancées les plus prometteuses en matière de prévention et de suivi ?
Nous nous concentrons sur le suivi dynamique par la MRD afin d’adapter nos décisions thérapeutiques et d’éviter le surtraitement. La prévention des infections est un autre axe fort, avec la vaccination personnalisée. Des recherches passionnantes sur le microbiote ouvrent la voie à des interventions nutritionnelles pour influencer la réponse immunitaire. Enfin, nous développons des soins de support 2.0, qui intègrent la réhabilitation précoce, l’activité physique adaptée, la gestion de la santé mentale ou encore le retour à l’emploi. La santé digitale nous aide à tout cela, avec la télésurveillance des symptômes et l’utilisation de l’IA pour interpréter nos données.
Quelles sont les prochaines grandes avancées attendues en recherche ?
L’avenir passe par la médecine de précision « multi-omique », qui intégrera l’ensemble des données biologiques des patients pour créer des « jumeaux numériques » décisionnels. Nous attendons également de nouvelles générations de cellules et vecteurs, comme les CAR-T allogéniques « off-the-shelf » (prêtes à l’emploi), plus accessibles et plus rapides à administrer. La recherche se concentre aussi sur des ciblages innovants et une thérapeutique adaptative, guidée en temps réel par la maladie résiduelle. L’objectif est de développer des modèles de soins qui intègrent la valeur et les préférences des patients, de la prévention à la gestion des toxicités tardives, seconds cancers …
Comment l’Institut Universitaire de Cancérologie AP-HP Sorbonne Université affirme-t-il son statut de centre expert en hématologie ?
Par son organisation intégrée de haut niveau, notre Institut offre une prise en charge globale avec des parcours rapides diagnostiques, des RCP hématologiques pluridisciplinaires, des filières dédiées aux urgences onco-hémathologiques, ainsi que des plateformes d’excellence en biologie moléculaire et en cytométrie.
Cette offre s’articule sur nos 2 centres experts à Pitié-Salpêtrière et à Saint Antoine avec une expertise complète et complémentaire qui permet des parcours patients complets pour toutes les maladies malignes du sang dans un environnement pluridisciplinaire d’excellence.
Nous disposons également d’unités de greffes et de thérapies cellulaires, labellisées JACIE, qui offrent un accès structuré aux innovations. Un large portefeuille d’essais cliniques nous permet d’assurer un accès précoce aux nouvelles thérapies. Notre engagement envers la qualité, la sécurité et l’expérience patient se traduit notamment par des programmes de prévention des infections et des soins de support complets. Enfin, nous avons un rayonnement académique solide, nous permettant de diffuser les bonnes pratiques via nos formations et nos partenariats internationaux.
L’hématologie a franchi des caps majeurs grâce à la convergence de la biologie moléculaire, de la greffe et de l’immuno-oncologie. Les thérapies comme les CAR-T et les bispécifiques sont en train de redéfinir les standards de soins, tandis que la maladie résiduelle minimale, le microbiome et la santé digitale ouvrent la voie à une médecine plus personnalisée et plus durable. C’est le rôle crucial de centres experts comme ceux de l’Institut Universitaire du Cancer AP-HP Sorbonne Université d’orchestrer ces innovations pour le plus grand nombre, avec exigence scientifique, sécurité et équité avec l’appui d’un environnement multidisciplinaire d’excellence.
La prévention ou la réduction des toxicités et/ou de la survenue de complications est essentielle pendant le traitement du cancer autant pour les patients que pour les soignants. La FHU S2C-HOPE « Safety and Security of Care in Hematology and Oncology Programs of Excellence » vient illustrer l’engagement des équipes de l’IUC AP-HP SU dans le défi majeur que représente la sécurité des soins. Ce projet FHU vise à développer une approche de recherche multiforme et intégrée afin d’améliorer la qualité et la sûreté des parcours de soins.